Ça y est je suis vieux…

 

Bien sûr quelques mauvaises langues ne manqueront pas de me faire remarquer que cela fait déjà quelques temps que je suis vieux… D’autres, peut-être plus aimables ou moins perspicaces, se garderont de prononcer des verdicts aussi rapides…

Bref, une récente histoire très personnelle m’a placé, bien malgré moi devant cette évidence, ça y est je suis vieux… Ça m’énerve mais je suis bien obligé désormais de l’admettre je suis brutalement devenu vieux et pas simplement parce que mes proches, mes amis, ma famille ont eu la gentillesse de fêter mon changement de dizaine de belle et tendre manière.

Déjà, il y a quelques mois, bricolant à l’extérieur de la maison, j’ai dû faire une maladresse ou une imprudence, mon échelle a glissé… J’ai fait une chute sévère, finalement sans conséquences dramatiques, mais mon entourage bienveillant, depuis, ne manque pas, dès que je commence le moindre travail manuel, de me prodiguer des recommandations de prudence: fais attention, n’en fait pas trop, tu devrais te faire aider, ce genre de choses tu devrais le faire-faire, il fait chaud, pense à boire, de l’eau bien sûr… C’est drôle, il y a peu encore on se serait réjoui de mes talents de bricolage et du fait que, justement cela permet d’éviter de faire-faire…

Et puis tout récemment une drôle d’idée me traverse l’esprit: je suis en vacances, seul chez moi, il fait un temps splendide, j’ai besoin de repos, de recueillement même… Je décide de descendre dans mon jardin, un moment seul au bord de la rivière qui le longe et, pour en profiter pleinement, je laisse volontairement mon téléphone…

Tout se passe bien pour moi en tout cas… Mais pendant que je savoure ma solitude à laquelle je trouve, comme disait La Fontaine « une douceur secrète[1] » mes proches essaient de me joindre, d’urgence… Quelque chose de grave est arrivé à Barcelone, un attentat odieux, abject, terroriste, insupportable et plusieurs de mes proches, sans être blessées physiquement sont sur les lieux et vivent l’horreur… Elles essaient de me joindre, normal! Je ne réponds pas! Que se passe-t-il? Elles alertent des amis, ils viennent jusque chez moi, ma voiture est là, je ne réponds ni au téléphone ni à la sonnette de l’entrée de la maison. Que se passe-t-il ? Que m’est-il arrivé? Une chute, un malaise, pire peut-être…

Finalement, pour boire un verre d’eau, je remonte et vais ouvrir la porte à ces amis qui sonnent, inquiets, très inquiets… « Ben alors? Qu’est qui se passe? Pourquoi tu ne réponds pas? On allait appeler le SAMU et la police pour forcer la porte… »

Bref, tout s’arrange et s’arrangera, du moins pour nous, le temps fait son œuvre et l’angoisse des uns et des autres s’apaisera. Les blessures des uns et des autres deviennent lentement plus supportables, sont soignées… Chacun prend conscience de la chance qu’il a d’avoir des proches, des amis capables de se mobiliser, de veiller, d’être attentif…

Un malaise me reste pourtant de façon continue… Imaginons qu’un homme de quarante ans, cinquante ans même, allez soixante ans, ait décidé de passer deux heures sans son téléphone… Je parie qu’il ferait alors l’admiration des uns et des autres… On parlerait de lui comme d’un homme, libre, indépendant, capable de résister à la tyrannie de ces technologies qui nous asservissent tant nous en sommes devenus dépendants…

Et moi? Mes quarante ans sont loin, les dizaines s’ajoutent, s’empilent, j’en ai conscience et tout va bien, j’ai cette chance, tout va bien… Pourtant ça y est dans le regard des autres je suis vieux! Moi si je ne réponds pas au téléphone ce n’est pas une affirmation de ma liberté mais un aveu involontaire de ma faiblesse liée à mon âge… « C’est dans le miroir des autres que, parfois, on se reconnaît », disait J. Prévert… Involontairement je me suis regardé dans ce miroir et j’ai bien compris ce qu’il me disait… Ça y est tu es vieux!

Décidément comme le suggérait Jean Cocteau, « les miroirs feraient bien de réfléchir avant de renvoyer les images »…

 

Michel Billé.

[1] Jean de La Fontaine: “Le songe d’un habitant du Mogol » Livre 6 fable 4.

« Solitude où je trouve une douceur secrète, 
« Lieux que j’aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
« Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais ? »

4 réflexions au sujet de « Ça y est je suis vieux… »

  1. Rassure-toi, il est possible que ce qui t’es arrivé soit bientôt le lot de la société toute entière. Connecté en permanence, mis en demeure de répondre dans l’instant, le retrait n’est plus possible sauf dans les maisons qui la tolèrent ! Et l’absence de réponse met la société en état d’inquiétude permanent alors autant, si faire se peut, caser les gens à des places fixes.

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