Je ne sais pas si beaucoup d’élèves de terminale, actuellement, ont lu « Surveiller et punir ». J’espère qu’ils sont nombreux. Michel Foucault interpelle encore aujourd’hui, surtout quand j’entends parfois, dans nos unités dites « sécurisées », des gens dirent : « je suis en prison ».
Il est toujours vrai que les relations entre hôpital, école, armée et prison restent complexes, surtout en gériatrie, quand la psychiatrie s’en mêle… Toutefois, quand se perdent mots et raison et que les objets sont renvoyés à leurs inerties, – les mots et les choses… cela me rappelle aussi quelques lectures !- les vieux nous enseignent la présence de la parole, la vérité du fameux logos.
J’avais essayé de mettre en forme ces idées dans « Sur l’autre rive de la vieillesse » (Erès 2017).
Mais l’accompagnement du grand âge nous amène aussi à envisager autrement les relations parfois conflictuelles entre les humains : protéger, soigner, veiller sur, éduquer, aménager. Depuis Thomas More, nous sommes autorisés à oser les utopies, alors j’en propose une nouvelle, presque directement issue de l’expérience de la vie en gériatrie. Et si, dans tous lieux et strates de la société, on faisait ce que l’on fait dans ces « communautés de soins et d’accueil » que peuvent être nos maisons de retraite. Bannir absolument toute forme de violence institutionnalisée et légitimée qu’est la punition. Après tout, les vieux aussi peuvent exercer les uns sur les autres des violences ou, « syndrome frontal » aidant, se livrer à des gestes que l’on qualifierait en d’autres lieux et époques de libidineux, voire même d’agressions sexuelles, ou encore considérer comme à soi ce qui ne l’est pas, et commettre ce que l’on appelait « vol » ailleurs ou autrefois.
Transposer à toute la société le fonctionnement des institutions gériatriques – ou, dans la même idée, des institutions pédiatriques ou pour personnes handicapées- c’est dépasser le système pénal et n’envisager que des ajustements non violents entre les hommes. A l’heure où l’on songe sérieusement à installer des caméras de vidéo surveillance jusqu’à l’intime des chambres, où l’on pense davantage juge et châtiment que médiation et soin, où l’on admet sans sourciller que tout écart à une norme doit être « recadré », autrement dit puni, je me suis dit : « Michel Foucault, reviens, ils sont devenus fous ! »
Il en est sorti, chez l’Harmattan, un essai politiquement incorrect : « Quand surveiller, c’est punir. Vers un au-delà de la justice pénale » où je rêve d’une société de « veillance-sur » plutôt que de « surveillance ». L’aide-soignante y deviendrait le modèle et la prophétesse d’une communauté d’hommes et de femmes où toute violence ne sera plus que problème à résoudre, et non plus mal à châtier. On y verra discuter ensemble Nietzsche et Freud, explorateurs des zones envahies des meutes de chiens sauvages que sont nos psychismes, avec Lévinas et Buber, admirateurs du visage dans son épiphanie et la richesse des rencontres. Sans peur.
Les vieux ont encore à dire sur la justice, même quand la mémoire s’en va…
Dominique Rivière